Effet récessif, avance à l'État avant que Bercy ne tienne compte des éventuelles déductions ou réductions d'impôt, "année blanche"... La réforme pose de nombreuses questions
Par LAURENCE ALLARD
François Hollande a donné mercredi en conseil des ministres son feu vert pour l’instauration du prélèvement à la source à compter de 2018. Une date qui n’est pas choisie au hasard, car elle reporte la réforme après l’élection présidentielle de 2017. Une manière d’éviter l’impopularité des couacs qu’entraînera inévitablement cette réforme. La mise en place du prélèvement à la source est, en effet, faussement simple et le contribuable sera perdant.
Aujourd’hui, les Français disposent d’un délai entre la perception de leurs revenus et le paiement de l’impôt afférent. Un temps qui permet à chacun de profiter de son argent, voire de le placer et de générer ainsi de nouveaux revenus. Avec le prélèvement à la source, au contraire, le citoyen sera taxé immédiatement à son taux marginal d’imposition et ce n’est qu’un an plus tard, au moment de la déclaration correctrice, que Bercy tiendra compte de ses déductions ou réductions d’impôt, de son changement de situation familiale... Le contribuable fera l’avance à l’État, ce qui n’est pas pour déplaire à celui-ci.
Le prélèvement à la source aura –– et c’est plus grave pour l’activité économique –– un effet récessif. Le citoyen aura le sentiment de percevoir moins chaque mois, ce qui le conduira, au moins les premières années, à dépenser moins. La France peut-elle aujourd’hui se permettre de tarir la consommation, support de notre croissance, quand celle-ci est aussi atone et le chômage aussi élevé ?
La réforme verra-t-elle vraiment le jour ?
Croire que, l’année de la mise en place du prélèvement à la source, l’État se privera d’un an d’impôt sur le revenu –– soit plus de 69 milliards d’euros –– alors que ses déficits se creusent est utopique. Il ne peut se le permettre. Le citoyen paiera davantage une année, voire plusieurs années. À son impôt, il devra inévitablement ajouter une fraction de l’impôt ancienne manière. C’est d’ailleurs cette solution qu’avaient adoptée les États-Unis en 1947 lorsqu’ils avaient opté pour l’introduction du prélèvement à la source. Et même dans l’hypothèse où l’État accepterait cette année "blanche" car il continuerait à percevoir l’impôt (en 2017 celui des revenus de 2016 et en 2018 celui des revenus de 2018), cette solution générerait des injustices avec des perdants et des gagnants. Pendant l'année blanche, certains contribuables pourraient être tentés d’accroître artificiellement leurs revenus pour ne pas payer d’impôt, ce qui est relativement facile s’agissant des revenus du patrimoine.
Même si François Hollande a tenu à rassurer sur la confidentialité des informations fiscales que Bercy devra fournir aux entreprises pour que celles-ci prélèvent l’impôt, il n’a pas dit comment il allait y parvenir. Comment éviter que le regard du DRH sur la rémunération de son collaborateur ne change pas ?
L’État sera gagnant également en raison des économies qu’il pourra réaliser. Sur ce point, il se montre discret, car il ne veut pas se mettre à dos les syndicats de Bercy. Mais, en transférant aux entreprises la charge de la collecte de l’impôt sur le revenu, il diminue ses besoins en personnel. Les 12 millions d’euros d’économies avancés sont sous-estimés.
La réforme verra-t-elle vraiment le jour ? Certains en doutent. Les fonctionnaires de Bercy ont bien l'intention de freiner des quatre fers. Déjà, ils affûtent leurs arguments, mettent en avant les obstacles. Est-ce d'ailleurs la bonne réforme ? Certains voient dans cette proposition la volonté d'enterrer la "vraie" réforme fiscale dont a besoin le pays. Une réforme qui passe par la baisse du taux de l'impôt, l'élargissement de la base imposable, sa simplification avec l'abolition des 80 milliards d'euros de niches fiscales. Le prélèvement à la source ne serait qu'un écran de fumée !
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